1959, DE LA VILLE LUMIÈRE À LA VILLE ÉTERNELLE 4

29 février 2024 - 14:30

LES HÉROS SONT FATIGUÉS (IV/IV)

L’arrivée sur la Promenade des Anglais le 10 mars prochain envoie une invitation au mois de juillet, lorsque l’arrivée finale du Tour de France sera jugée pour la première fois loin de Paris, sur la place Masséna de Nice. Les archives de la Course au soleil révèlent un autre point commun avec le parcours de la Grande Boucle 2024, puisque sa 17e édition emmenait le peloton depuis Paris jusqu’à Rome, en passant par Nice mais aussi Florence. En ce début de saison 1959, la « Course des deux capitales » a donné lieu à un duel avorté entre Jacques Anquetil et Roger Rivière, à la révélation d’une jeune garde avec les deux vainqueurs (oui, oui !) Jean Graczyk et Gérard Saint et à de spectaculaires coups manqués comme la frustrante déconvenue de Gastone Nencini, chez lui dans la capitale toscane. Récit en quatre épisodes d’une aventure franco-italienne mouvementée… et unique.

L’assaut de San Gimignano

Le porteur du maillot blanc vit sous haute tension depuis sa prise de pouvoir sur la dernière étape franco-française de Paris-Nice-Rome. Et c’est certainement sur le trajet Florence-Sienne que Jean Graczyk passe sa journée la plus stressante. Peut-être parce qu’il est amateur de bonnes formules, Raphaël Géminiani lance en montant à San Gimignano, à une cinquantaine de kilomètres de l’arrivée, la grande contre-offensive des Rapha-Géminiani. Il emmène dans sa roue Gerard Saint, le leader désigné pour faire tomber Graczyk, mais aussi Everaert, tandis que Roger Rivière les rejoint le temps d’atteindre le village décrit comme la « Carcassonne toscane ». Derrière, Graczyk encaisse les coups et se débat comme il peut. Sa déroute lui aurait été rédhibitoire si Gerard Saint n’avait pas été momentanément arrêté par une chute dans la descente. À l’arrivée sur la place centrale de Sienne, celle où se joue chaque été depuis le Moyen-âge le « Palio », le coup n’est pas passé loin : « Popof » conserve sa position au sommet du classement général, mais n’a plus que 15 secondes d’avance sur Saint. Et il reste encore à disputer la plus longue étape de l’épreuve : 242 kilomètres pour rallier Rome.

Sur la fin de course, l’esprit de conquête est bien du côté des « Rapha », le maillot vert Gérard Saint en tête. Mais Graczyk résiste.
Sur la fin de course, l’esprit de conquête est bien du côté des « Rapha », le maillot vert Gérard Saint en tête. Mais Graczyk résiste. © PRESSE SPORTS
Le récit imagé dans L’Equipe de la grande explication dans la campagne toscane.
Le récit imagé dans L’Equipe de la grande explication dans la campagne toscane.

Anquetil, l’équipier de Graczyk

Il a prévenu son public depuis le début, en partie pour couper court à des comparaisons avec le niveau de Rivière, mais Paris-Nice-Rome se présentait bien trop tôt pour qu’Anquetil en fasse un véritable objectif. Il n’était pas pour autant acquis qu’il se métamorphoserait en lieutenant officiant pour les intérêts du jeune Jean Graczyk, c’est-à-dire à un grade bien subalterne en comparaison de ses galons déjà gagnés par ailleurs. Pourtant, à la suite de la tentative de putsch de Gerard Saint sur la route de Sienne, c’est bien grâce à l’aide de Maître Jacques que le leader de la course sauve sa position : « J’ai repris confiance à son retour, expliqua-t-il le soir-même. Il s’est défoncé pour moi ! Ah, bon Dieu, si je gagne ce Paris-Rome, je vous assure que Jacques peut me demander n’importe quoi, je n’aurai plus rien à lui refuser ». Le lendemain, le même sens de l’entraide a pu être observé au sein de la formation Helyett-Leroux, dont le maillot blanc a à nouveau été harcelé. Et c’est encore grâce à Anquetil que les 15 secondes d’avance sont restées intactes jusqu’à l’arrivée dans la capitale italienne. La plus belle victoire de Graczyk est aussi un peu celle de son illustre collègue.

Durant les deux dernières étapes, le rôle d’Anquetil a été décisif pour conserver le maillot blanc dans la maison Helyett-Leroux.
Durant les deux dernières étapes, le rôle d’Anquetil a été décisif pour conserver le maillot blanc dans la maison Helyett-Leroux. © PRESSE SPORTS
Le journaliste de L’Equipe Jacques Marchand analyse dans le détail, et avec les intéressés, la journée ultra-tendue de l’étape de Sienne.
Le journaliste de L’Equipe Jacques Marchand analyse dans le détail, et avec les intéressés, la journée ultra-tendue de l’étape de Sienne.

Deux maillots de leader dans le peloton

En raison de la division de la course en deux tronçons, il y a bien deux vainqueurs à célébrer à l’arrivée à Rome. De toute façon, c’est l’air de la Marseillaise qui aurait retenti dans le Colisée pour la cérémonie protocolaire. Elle a été jouée pour Jean Graczyk, qui après avoir gagné Paris-Nice, a pu conserver le maillot blanc récompensant le vainqueur du classement combiné des deux courses. Mais la deuxième partie, entre Menton et Rome, a été dominée par Gérard Saint, à l’attaque jusqu’au bout pour tenter de faire vaciller sans succès son devancier. De l’avis des observateurs, le jeune en forme des « Rapha » a été le coureur le plus convaincant du peloton. On dit même que le vainqueur du maillot vert, attribué au leader de la partie italienne, aurait presque été handicapé par cette tenue. C’est en tout cas la croyance de son coéquipier Roger Rivière, exprimée dans L’Equipe du lendemain : « S’il n’avait pas eu le maillot vert, Gérard aurait certainement insisté un peu plus pour s’emparer du maillot blanc ! » Trop de maillots, tuent le maillot…

Le maillot vert Gérard Saint et le maillot blanc Jean Graczyk ont tous les deux droit aux honneurs à leur arrivée à Rome.
Le maillot vert Gérard Saint et le maillot blanc Jean Graczyk ont tous les deux droit aux honneurs à leur arrivée à Rome. © PRESSE SPORTS
À l’heure des bilans, L’Equipe se prononce pour un match nul entre les deux valeurs montantes du cyclisme français qui ont occupé le terrain pendant l’épreuve.
À l’heure des bilans, L’Equipe se prononce pour un match nul entre les deux valeurs montantes du cyclisme français qui ont occupé le terrain pendant l’épreuve.
Jacques Anquetil et André Darrigade félicitent chaleureusement leur jeune coéquipier pour sa victoire.
Jacques Anquetil et André Darrigade félicitent chaleureusement leur jeune coéquipier pour sa victoire. © PRESSE SPORTS

Au bout de l’exercice

Le décor du Colisée est somptueux, les 12 épisodes de Paris-Nice-Rome ont donné lieu à de superbes empoignades et une délégation de coureurs a même été reçue au Vatican par le pape Jean XXIII. Mais les 1955 kilomètres du parcours, affrontés en bonne partie dans le froid et sous la pluie de ce début mars, ont exténué les participants. Louison Bobet, fiévreux, a mis pied à terre dans la dernière étape, et la cascade de forfaits pour Milan-Sanremo, qui se tient cinq jours plus tard, révèle bien l’état d’épuisement généralisé dans le peloton. Bref, il y a très peu de candidats pour une autre édition sur le même format en 1960. Par ailleurs, le climat houleux entre les instances du cyclisme italien, qui poussent pour l’inscription des équipes de marques sur le Tour de France, et son patron Jacques Goddet qui reste encore fermement attaché aux équipes nationales (plus pour longtemps) ne favorise pas des initiatives qui nécessitent une bonne entente entre les acteurs de part et d’autre des Alpes. Quelques années plus tard, en 1966, la création de Tirreno-Adriatico rend encore plus improbable un projet de ce type à cette période de la saison. Paris-Nice-Rome est restée unique.

Bobet, Rivière, Anquetil et Géminiani affichent encore un large sourire pour la photo, mais aucun d’eux ne se rend à Milan-Sanremo.
Bobet, Rivière, Anquetil et Géminiani affichent encore un large sourire pour la photo, mais aucun d’eux ne se rend à Milan-Sanremo.
Louison Bobet, ici en discussion avec le patron du Tour Jacques Goddet en visite à Rome, a abandonné pendant la dernière étape.
Louison Bobet, ici en discussion avec le patron du Tour Jacques Goddet en visite à Rome, a abandonné pendant la dernière étape. © PRESSE SPORTS

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